Colmar 2017 (3) : L’Enfer entre dans l’église

Version de concert de la Damnation de Faust de Berlioz sous la direction de Michel Plasson au festival de Colmar 2017.

Le Festival de Colmar 2017 réussit un coup de maître avec cette Damnation de Faust donnée dans l’enfer des trente-cinq degrés de l’église Saint-Matthieu. La distribution comme le chœur souffrent le martyre à cause de la chaleur, mais déploient leurs plus beaux atours dans le médium et l’aigu, les graves se rompant parfois dans l’acoustique du lieu.
 
Michel Plasson entre en scène le pas mesuré, suivi par les trois hommes nécessaires aux deux premières parties de la Damnation de Faust de Berlioz. Lui qui dû s’interrompre récemment suite à une chute après une répétition de Werther présente ce soir dès qu’il pose un pied sur le pupitre une grande forme, une force physique à même de développer avec une évidence et un naturel hors du commun la partition du génie de la Côte Saint-André.

La passion du chef pour le son français est bien connue, mais ce qui s’applique à Gounod ou Massenet ne fonctionne pas forcément avec Berlioz. Or dès les premiers accords, la description de ce qu’il compare à sa langue natale explose à nos oreilles, malgré un Orchestre national philharmonique de Russie à surveiller pour éviter d’en dégager des accents trop sombres. Les couleurs se dégagent de premiers violons fantastiques tout au long de la soirée, alliés à une petite harmonie dont se démarquent clarinette basse, clarinettes et flûtes, ainsi que le hautbois.

Dans l’acoustique de l’église Saint-Matthieu, les violoncelles perdent en rondeur même si les soli du premier d’entre eux comme du fantastique premier alto et premier violon ressortent avec splendeur, tout comme la raucité de contrebasses finalement moins altérées dans le grave que d’autres instruments. La Marche hongroise et ses percussions très nettes et présentes montrent à quel niveau Plasson souhaite décrire le drame, tout comme le final et son énergie dantesque avant un retour aux sonorités paradisiaques de la conclusion. Seul le duo entre Faust et Marguerite manque de poésie, mais le chef nous avait prévenus en nous avouant il y a peu qu’il ne savait pas bien faire les scènes d’amours.

Le chœur moscovite placé au balcon impressionne malgré son petit nombre de chanteurs, suffisamment puissants dans les graves pour exalter presque toutes ses scènes, rejoint au dernier tableau par cinq voix pures issues du conservatoire de Strasbourg. Le double-chœur en fin de deuxième partie est aussi irréprochable dans le texte français que latin des hommes, tandis que les femmes réussissent particulièrement la scène des Sylphes.

De la distribution, le Faust de Marc Laho pourra décevoir quelque peu dans le charisme du personnage et la fatigue de ses dernières interventions, mais il possède une diction incroyable dont strictement tous les mots ressortent parfaitement prononcés, avec un timbre agréable et même coloré dans le haut du spectre. La basse Nicolas Courjal montre toujours ses graves aussi profonds en Méphistophélès, quelque peu mangés ici par l’acoustique, au risque de limiter parfois la portée du texte. Sa tessiture impressionne dans toutes les parties basses et se trouve juste limitée dans les notes de la clé de sol.

Plus petit rôle, le Brander de Julien Véronèse ravit par la diction comme par le style pour une Chanson du rat portée avec brio lors de la scène de la taverne. La sueur sur son visage se retrouve en seconde partie lorsqu’il laisse sa place à l’une, voire la, meilleure Marguerite actuelle, Sophie Koch, déjà entendue à l’Opéra Bastille et la saison prochaine en tournée avec Marc Soustrot. Sans être cette fois perturbée par la mise en scène, elle développe avec un timbre superbe dans le bas-médium sa Ballade du Roi de Thulé comme sa complainte, tandis qu’elle dépasse largement Faust dans le duo.

Cette soirée entre l’enfer et le paradis est à marquer d’une pierre blanche et l’on espère que cet hommage à Michel Plasson sera encore suivi de nombreux autres concerts de cette qualité sous cette très grande baguette !

Altamusica, Église Saint-Matthieu, Colmar
Le 08/07/2017
Vincent GUILLEMIN